On se rappelle (du moins ceux qui me lisent régulièrement, soit deux ou trois personnes ce qui n'est pas rien) que j'avais écrit fin mars un billet intitulé
Les modèles climatiques sont-ils fiables ?
Ce billet faisait contrepoint (sic) à un article de désinformation publié sur Skyfall,
Les modèles climatiques pour le profane, lui-même traduit d'un
papier de Judith Curry destiné à « prouver » que les modèles climatiques ne marchaient pas et qu'il vaudrait mieux dépenser l'argent du contribuable à autre chose.
Pour enfoncer le clou dans le cercueil (
the last nail in the coffin comme ils disent) notre cher et tendre ami Tsih avait cru bon de servir le commentaire suivant aux habituels affamés en quête de nourriture climatosceptique d'où qu'elle provienne :
D'habitude Tsih apporte un petit plus sur Skyfall, ce qui n'est pas très difficile étant donné le niveau moyen des troupes, mais dans le cas présent il se plante lamentablement, et cela essentiellement pour deux raisons :
- l'article n'est en rien « terrible pour les modèles », bien au contraire si on le lit attentivement ;
- par contre l'article est bien « terrible pour les climatosceptiques », c'est un peu ce que l'on appelle se tirer une balle dans le pied, surtout quand on voit la suite...
Tout d'abord dans le fil des commentaires on voit que l’hameçon, lancé imprudemment (ou à dessein..?) par Tsih aux petits poissons qui fraient dans la petite mare de la petite arrière-cour de la petite ferme du petit domaine appelé Skyfall, a été immédiatement avalé par les inévitables clients qui constituent l'ossature du site :
Ah que c'est beau tant de naïveté !
Le fumeux commandant de char d’opérette ne voit même pas que dans le lien wikipedia qu'il cite on trouve une référence au site SkepticalScience en date du 19 mars 2014,
Lessons from Past Climate Predictions: J.S Sawyer in 1972, ce qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille et le freiner dans son enthousiasme délirant ! En effet l'article commence par :
On peut lire aussi plus loin :
- His 1972 paper reveals how much we knew about the fundamental workings of the global climate over 40 years ago. For example, Sawyer addressed the myth and misunderstanding that as a trace gas in the atmosphere, it may seem natural to assume that rising levels of carbon dioxide don't have much impact on the climate. Sawyer wrote,
- "Nevertheless, there are certain minor constituents of the atmosphere which have a particularly significant effect in determining the world climate. They do this by their influence on the transmission of heat through the atmosphere by radiation. Carbon dioxide, water vapour and ozone
all play such a role, and the quantities of these substances are not so
much greater than the products of human endeavour that the
possibilities of man-made influences may be dismissed out of hand."
Ainsi ce que disait Sawyer il y a plus de 40 ans est totalement en désaccord avec la doxa en cours sur Skyfall où on en est encore à discuter de la réalité de l'effet de serre, hilarant, non ?
Et ce qui devait arriver arriva.
Scaletrans a tenu parole et a pondu une traduction (merci à lui quand même pour le boulot fourni) qu'il a publiée sous le titre
Le Dioxyde de Carbone Anthropique et l’Effet de Serre.
Inutile de dire que cet article a jeté une certaine confusion parmi le lectorat du site qui n'était peut-être pas habitué à voir publié un article allant manifestement contre ses idées, la preuve :
On rappelle que
Nicias ne sait pas quelle est la différence entre une pause, un hiatus et un plateau, et qu'il traduit slowdown par pause, montrant ainsi sa grande maitrise de la langue anglaise...
Ainsi pour Nicias depuis 45 ans on n'aurait absolument rien appris par rapport à ce que Sawyer savait en 1972, ce qui prouve que Nicias a arrêté de lire depuis...qu'il est né !
-
Excellent article, où subsistent malheureusement trois erreurs.[bla bla bla]
Le commandant n'a évidemment rien compris de l'article en question, tellement il est focalisé sur les photes d'ortaugrafe qui auraient échappé à la sagacité de Scaletrans.
-
Bernnard (#8),
En relisant le texte attentivement j’ai encore relevé quelques améliorations à apporter [...]
« En relisant le texte attentivement », vraiment ?
Splendide ! Scaletrans vient d'inventer un nouveau concept, l'effet d'atmosphère ! Ainsi nous apprenons que sur Skyfall personne ne nie qu'il existe une atmosphère, nous avançons à pas de géants.
Ainsi nous apprenons que les « modestes connaissances » de phi ne lui permettent pas de savoir qu'un altimètre n'est rien d'autre qu'un baromètre étalonné de manière à donner l'altitude, s'il pratiquait la randonnée en montagne il le saurait depuis belle lurette ; il donne donc raison à celui qu'il cite : « Le sujet concerne les monumentales idioties radotées ici
encore et encore par divers intervenants ici » et qui n'est autre que...Tsih :
Pour être honnête il n'y a pas que Curry et Spencer qui en pouffent de rire, moi aussi j'ai mal aux côtes.
Mais le mieux est encore de lire l'intégralité des commentaires pour passer un bon moment à se fendre la poire, en évitant d'attacher trop d'importance aux détails techniques qui ne sont rien d'autre que du
Dunning-Kruger à la puissance dix mille.
Le plus comique est peut-être le dernier commentaire actuellement en ligne (il y en aura certainement d'autres tout aussi savoureux que les précédents)
On avait bien compris mon commandant, maintenant vous pouvez aller boire votre camomille et vous mettre au lit en lisant
votre livre de chevet préféré pour mieux vous endormir.
Alors maintenant voyons pourquoi le papier de Sawyer de 1972 n'est en rien « terrible pour les modèles » comme le prétend Tsih.
D'abord Sawyer ne dit à aucun moment que les modèles climatiques ne marchent pas ; voici notamment les passages où Sawyer les évoque (ce qui est souligné en rouge l'est de mon fait) :
- En dépit de l’énorme complexité des calculs de
l’ensemble de la circulation des vents et des répartitions résultantes
de nuages et de précipitations, il est probable que c’est seulement de
cette façon qu’on pourrait faire une estimation des changements
climatiques d’origine anthropique sur des bases solides. Des modèles numériques de la circulation atmosphérique
ont été développés et les calculs sont tous justes [Scaletrans aurait dû traduire par tout juste, mais cela a échappé au correcteur fou...] praticables sur les
plus gros ordinateurs modernes. Les calculs
reproduisent les principales caractéristiques, mais n’ont pas la
précision suffisante pour différencier deux régimes qui produiraient une
différence de température de 1 ou 2 °C.
Sawyer reconnaissait déjà en 1972 que seuls les modèles climatiques sont capables d'effectuer des calculs complexes comme ceux relatifs à l'atmosphère ; à l'époque (il y a 45 ans...) les modèles étaient bien évidemment bien moins perfectionnés et les ordinateurs bien moins performants qu'aujourd'hui, mais cela a échappé à des gens comme Nicias ou Tsih, entre autres, ce qui explique leur incompréhension actuelle.
- De tels calculs seront peut-être faisables dans le
futur, mais les modèles sophistiqués nécessaires auront à prendre en
compte les processus complexes de rétroactions dont il a déjà été
question. Le plus difficile est de concevoir une
méthode de calcul pour l’importance des nuages attendue dans un régime
de circulation particulier, car les nuages individuels sont trop petits
pour être traités ; le comportement statistique
des nuages couvrant une région devra être calculé et les moyens de le
faire ne sont toujours pas évidents.
Sawyer était manifestement plus lucide et optimiste quant aux possibilités de la science que tous les attardés (un mot que
Tsih m'a piqué pour le resservir sur Skyfall...) qui en sont restés à l'année 1972, quand ce n'est pas carrément à la fin du 19ème siècle, comme notre commandant de pédalo à vapeur :
Einstein serait fier d'avoir le commandant comme émule.
Pourtant Sawyer le disait bien à la fin de son étude de 1972 :
- Bien qu’il n’y ait pas de raison immédiate de s’alarmer à
propos des conséquences de l’augmentation du dioxyde de carbone dans
l’atmosphère, il est, bien sûr, nécessaire de continuer à étudier.
Et on peut se demander, si Sawyer vivait encore aujourd'hui, quelle serait sa position sur les modèles climatiques ?
Nous avons un indice récemment publié sur
RealClimate qui a créé une
page spéciale dédiée aux modèles comparés aux observations dans laquelle on peut notamment voir le graphique suivant représentant les
projections de James Hansen, effectuées en 1981, soit 9 ans après la parution du papier de Sawyer :
Si j'en crois ce graphique datant de 1981, auquel ont été ajoutées les anomalies de températures de surface jusqu'à aujourd'hui, le modèle de Hansen fournissait des projections qui se sont révélées bien trop optimistes, mais Tsih va peut-être me dire ce qui cloche avec cette comparaison, je suis sûr qu'il saura trouver le biais dans les courbes présentées.
En 1988 Hansen remettait ça et produisait les projections suivantes :
|
Original discussion (2007). Scenarios from Hansen et al. (1988).
Observations are the GISTEMP LOTI annual figures. Trends from 1984:
GISTEMP: 0.19ºC/dec, Scenarios A, B, C: 0.33, 0.28, 0.17ºC respectively
(all 95% CI ~±0.02). Last updated: 8th April 2017. |
Cette fois-ci les projections semblent plus réalistes et les observations montrent que nous nous trouvons à peu près dans le scénario
business-as-usual, ce qui n'est pas si étonnant que ça puisqu'on ne fait finalement pas grand chose pour lutter contre le réchauffement climatique...
En ce qui concerne les données satellitaires il semblerait que les modèles soient trop pessimistes, par exemple :
|
Original discussion (Jan 2017).
Mid-troposphere satellite products from UAH, RSS, NOAA STAR and UW.
Model values use synthetic MSU-TMT weightings, spread is 95% envelope of
simulations. Last updated Mar 2017. |
Mais on remarquera que le
slow-down (et non la pause) après le pic El Niño de 1998 est bien du passé et que les températures repartent à la hausse en rattrapant le temps perdu !
Comme on peut le constater les modèles ne sont pas si délirants que Tsih veut bien le dire, lui qui écrit par ailleurs en réponse à Araucan :
Il est étonnant de lire sous la plume d'un « physicien » de la trempe de Tsih que les phénomènes El Niño-La Niña empêcheraient les modèles de donner de bonnes projections sous prétexte qu'ils sont « émergents » et par conséquent non prédictibles...
Voyons ce que dit
Hervé Le Treut dans son chapitre sur « La prévision des variations climatiques futures » :
- La réponse océanique peut modifier la répartition géographique de certains processus (arrêt de la circulation Nord-Atlantique et moindre réchauffement dans cette région, augmentation des événements El Nino), mais les tendances à plus grandes échelles restent les mêmes.
Autrement dit il y a des « tendances à grande échelle » qui neutralisent les événements ponctuels comme El Niño-La Niña qui, de toute façon, sur le long terme s'annulent et n'ont pas d'incidence notable sur les résultats des modèles.
Par ailleurs c'est une constante chez les climatosceptiques de confondre projections avec prévisions ou prédictions, et donc climat (projections) avec météo (prévisions) ou astrologie (prédictions), par exemple :
Nanuq se porte bien, on lui souhaite que cela dure longtemps, mais pour ses petits-enfants peut-être que la vie sera un peu plus difficile.
Hug manque de recul, il s'est peut-être trompé et regarde par le petit bout de la lorgnette, s'il persiste c'est vraiment mal parti surtout pour lui.
Alors pour l'aider on peut lui conseiller la lecture de
Jean Jouzel avec les passages suivants où il est question de projections :
- Ce rapport ["Le climat de la France au 21e siècle" intitulé « Scénarios régionalisés édition 2014 »] présente les scénarios de changement climatique en France
jusqu'en 2100. Pour la première fois, ces projections sont également
effectuées pour les outre-mer.
- En présentant des projections à moyen terme (2021-2050) et à long terme
(2071-2100), le rapport permet de percevoir la progressivité des
changements possibles tout en montrant les premiers impacts
perceptibles.
- Les climatologues en déduisent des projections climatiques globales ou régionales.
- Ces projections sont visibles sous forme de carte sur www.drias-climat.fr qui reprend l'ensemble des données existantes concernant l'impact du changement climatique en France.
A noter que le mot prévision, sur le site mentionné, est réservé à la météo :
Et à aucun moment on ne parle de prédiction...
Si vous voulez davantage de détails en voici :
- La projection climatique est définie comme la réponse du climat à un scenario d’émission de concentration de gaz à effet de serre et d’aérosols.
- La prévision météorologique est une application des connaissances en météorologie et des techniques modernes de prises de données et d'informatique pour prévoir l'état de l'atmosphère à un temps ultérieur.
- Une prédiction est l'« action d'annoncer à l'avance un événement par inspiration surnaturelle, par voyance ou prémonition » ou l'« action d'annoncer à l'avance un événement par calcul, par raisonnement, par induction. »
La
prévision météo s'applique à du très court-terme, elle cherche à savoir du mieux possible quel temps il fera dans les prochains jours, et pour cela les
conditions initiales sont cruciales, car la moindre erreur fausse la totalité de la prévision à cause du comportement chaotique de l'atmosphère.
La
projection climatique, elle, s'attaque au très long terme, où les conditions initiales n'ont plus aucune importance (peu importe qu'il fasse beau ou pas au moment où on lance les calculs), et elle est tributaire de scénarios qui ne seront jamais respectés à la lettre, donc il est illusoire de penser qu'une projection puisse « prévoir » ou « prédire » quoi que ce soit, il s'agit simplement d'un outil servant à visualiser quel serait l'impact sur les températures si l'on continuait à émettre x, y ou z de CO2 dans le futur ; si l'on regarde le graphique Hansen de 1988 on voit qu'en 2020 l'écart entre les scénarios extrêmes est de 1 degré (cela va de +0,6 à +1,6°) ce qui est une information qui devrait faire réfléchir tout le monde...
Pour finir et relativiser ce que peuvent (et ne peuvent pas) les modèqles climatiques, cet article sur
Les incertitudes dans les scénarios de changement climatique :
- [...] l'incertitude associée à la variabilité interne du climat est
prépondérante pour les toutes prochaines décennies. En revanche,
au-delà, les incertitudes liées aux scénarios socio-économiques d'une
part et aux incertitudes structurelles des modèles d'autre part
reprennent le dessus.
Il n'y a finalement que les climatosceptiques pour avoir des convictions fermement enracinées et être incapables de comprendre ce qu'ils ont décidé de ne jamais comprendre.
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