Tout d'abord quelques explications sur le titre du présent billet.
Le qualificatif "ursusmaritime" a été inventé par moi et fait référence à ce que l'on appelle communément l'ours blanc ou ours polaire ; le véritable nom scientifique de l'ours blanc est ursus maritimus d'après Wikipédia en français, cependant la version anglaise parle plutôt d'ours polaire, mais chacun aura compris qu'il s'agit du même animal.
Le nom de Susan Crockford, lui, semble être apparu relativement récemment dans la littérature climatosceptique et est vite devenu l'emblème de la bonne santé, pour ne pas dire de la santé éclatante des ours blancs/polaires, contredisant ainsi toutes les prédictions alarmistes à leur sujet.
Ainsi quand vous mettez en avant le risque que fait planer sur les ours polaires la disparition programmée de grands pans de la banquise arctique, il y a de fortes chances pour qu'on vous renvoie dans les dents les "études" de cette scientifique pour vous dire que non les ours ne courent aucun danger et se portent au contraire très bien.
Nous en avons quelques exemples comme suit, qui nous montrent pour certains l'orientation réelle de Susan Crockford.
- On a fait croire aux enfants qu’il ne reste que quelques centaines d’ours polaires, mais l’implacable message sur les ours polaires condamnés (par la faute de l’homme) est heureusement faux. Il est temps qu’on révèle la vérité aux jeunes.
- Comme le souligne Susan Crockford26, spécialiste de l’évolution des ours polaires, la population des ours blancs a, dans le passé, diminué à cause de la chasse et de l’exploitation commerciale de leur fourrure. Des mesures de protection ont eu un plein succès et amené une augmentation des populations telle que la chasse a de nouveau été autorisée.
- Il n’y a aucune indication, aucune preuve, que les changements de la banquise arctique estivale aient eu un quelconque effet négatif sur les populations d’ours polaires : ces ours peuvent nager plus de deux cents kilomètres ; on ne voit pas pourquoi moins de glace les gênerait.
- Certains scientifiques démontrent qu’un refroidissement naturel est également possible dans un avenir proche, de par les variations dans les rayonnements solaires.
- Signataires :
- 30 - Susan Crockford, PhD (Zoology/Evolutionary Biology/Archaeozoology), Adjunct Professor (Anthropology/Faculty of Graduate Studies), University of Victoria, Victoria, British Colombia, Canada
Ce dernier lien ressemble à une étude, datée de 2008, dont on chercherait en vain la trace dans la littérature scientifique revue par les pairs ; il ne s'agit en fait que d'un papier qu'un blog négationniste (il n'y a pas d'autre mot) faisant l'apologie de Donald Trump nous fournit en parallèle avec d'autres "études" "prouvant" que l'effet de serre n'existe pas (entre autres âneries qu'il serait fastidieux de lister)
Le seul papier de Susan Crockford sur le sujet que l'on peut trouver avec l'aide de Google Scholar est le suivant : Testing the hypothesis that routine sea ice coverage of 3-5 mkm2 results in a greater than 30% decline in population size of polar bear (Ursus maritimus).
En fait ce papier n'est qu'un brouillon, avec la mention bien mise en évidence : "NOT PEER REVIEWED" !
En voici le résumé à toutes fins utiles :
- L'ours polaire (Ursus maritimus) a été la première espèce à être classée comme menacée d'extinction sur la base de prédictions de conditions futures plutôt que de statut actuel. Ces prédictions ont été faites en utilisant des prévisions d'experts sur les déclins de population liés à la perte d'habitat modélisée - d'abord par la Liste Rouge de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) en 2006, puis par le United States Fish and Wildlife Service (USFWS) en 2008 en vertu de la Endangered Species Act (ESA), sur la base des données recueillies jusqu'en 2005 et 2006, respectivement. Les deux évaluations prédirent un déclin significatif de la population d'ours polaires au milieu du siècle en raison de l'extension de la glace de mer en été atteignant rapidement 3-5 mkm2 de façon régulière : l'UICN prédisait une diminution de plus de 30% de la population totale alors que l'USFWS prédisait que la population mondiale diminuerait de 67% (y compris l'extirpation totale de dix sous-populations dans deux écorégions vulnérables). Les biologistes impliqués dans ces évaluations de conservation ont dû faire plusieurs hypothèses critiques sur la façon dont les ours polaires pourraient être affectés par la perte future d'habitat, puisque les conditions de glace de mer prévues d'ici 2050 ne s'étaient pas produites avant 2006. Cependant, les déclins de la banquise estivale ont été beaucoup plus rapides que prévu : de faibles niveaux de glace (environ 3-5 mkm2) qui n'étaient pas attendus avant le milieu du siècle ont été observés régulièrement depuis 2007. La réalisation des niveaux prévus de banquise permet de considérer la supposition du "déclin de la banquise = déclin de la population" comme une hypothèse testable. Les données recueillies entre 2007 et 2015 révèlent que les nombres d'ours polaires n'ont pas diminué comme prévu et qu'aucune sous-population n'a disparu. Plusieurs sous-populations susceptibles de présenter un risque élevé de déclin sont restées stables et cinq ont montré une augmentation de la taille de la population. Une autre sous-population à risque n'a pas été dénombrée mais a montré une amélioration marquée des paramètres de reproduction et de l'état corporel avec moins de glace d'été. En conséquence, l'hypothèse selon laquelle des niveaux de glace de mer inférieurs à 5 mkm2 causeraient des déclins significatifs de population chez les ours polaires est rejetée, ce qui indique que les jugements de l'ESA et de l'UICN établissant que les ours polaires sont menacés en raison des risques futurs de perte d'habitat étaient scientifiquement infondés et que des prédictions semblables pour les phoques et les morses de l'Arctique pourraient également être erronées. L'absence d'une relation démontrable « déclin rapide de la glace de mer = déclin de la population » pour les ours polaires pourrait aussi invalider les résultats actualisés du modèle de survie qui prévoient des déclins catastrophiques si l'Arctique devenait libre de glace en été.
On peut retenir de ce résumé les deux points importants suivants :
- Les données recueillies entre 2007 et 2015 révèlent que les nombres d'ours polaires n'ont pas diminué comme prévu et qu'aucune sous-population n'a disparu ;
- l'hypothèse selon laquelle des niveaux de glace de mer inférieurs à 5 mkm2 causeraient des déclins significatifs de population chez les ours polaires est rejetée.
Donc la diminution de la surface de la banquise arctique n'aurait aucune influence sur la survie de l'espèce ursus maritimus, l'ours polaire ou blanc pour ne pas le nommer.
Tout cela a l'air bien argumenté et documenté, sauf...
Sauf que le papier n'a toujours pas, aux dernières informations, été validé !
Nous avons vu que Susan Crockford avait toute l'attention de la communauté climatosceptique, elle est souvent citée dans des articles ou dans des commentaires d'articles, et nous avons vu qu'elle avait co-signé une lettre ouverte à Ban Ki-Moon pour l'informer que le soleil, et non le CO2, était le coupable, nul doute que le secrétaire général des Nations unies a acheté un lot de doudounes afin de se préparer aux grands froids que lui prédisaient les 125 scientifiques dont faisait partie notre dame spécialiste des ours polaires.
Mais qui est donc Susan Crockford ?
Elle nous donne sa biographie sur son propre site :
- La scientifique Susan Crockford (elle parle d'elle à la troisième personne...) a passé des décennies à écrire des livres et des articles professionnels, mais blogue sur les ours polaires pour les non-scientifiques depuis 2012. En 2015, elle écrit son premier roman, un thriller d'attaque d'ours polaire destiné à des lecteurs qui préfèrent une science "allégée". EATEN n'a pas déçu : le refrain du critique commun était : « Je ne pouvais pas le lâcher ! » Pour 2017, elle présente les deux volumes de non-fiction que les lecteurs du monde entier réclament : des livres scientifiques simples sur les ours polaires pour adultes et enfants qui offrent la même perspective pragmatique et globale sur la conservation de l'ours polaire qui a rendu son blog et ses conférences publiques si populaires. Susan est une zoologiste professionnelle qui a étudié l'histoire écologique et l'évolution de nombreux animaux pendant plus de 40 ans. Elle s'intéresse particulièrement aux ours polaires depuis au moins la moitié de cette période. Une fascination impérieuse pour l'évolution (y compris l'histoire des interactions homme-animal) l'oblige à écrire. Elle a un doctorat et écrit sur la science des ours polaires et des sujets connexes sur www.polarbearscience.com. Voir la page À propos de mon blog (ici) pour plus de détails sur mes antécédents, et encore plus d'histoire de publication détaillée sur www.pacificid.com sous l'onglet Recherche.
« Pendant plus de 40 ans », cela a de quoi impressionner le quidam, nous avons affaire à une véritable professionnelle qui sait de quoi elle parle, n'est-ce pas ?
Mais voyons ce qui dit Desmogblog de notre professionnelle :
- University of Victoria adjunct professor Susan Crockford doesn't seem interested in discussing the monthly payments she appears to receive from the climate denying Heartland Spinstitute.
- Susan Crockford, professeure adjointe à l'Université de Victoria, ne semble pas intéressée à discuter des paiements mensuels qu'elle semble recevoir du climatosceptique Heartland Spinstitute.
- “Crockford would not respond to emails, and refused to speak with the Martlet,” reports a UVic student newspaper attempting to probe the payments.
- "Crockford ne répondait pas aux courriels, et a refusé de parler avec le Martlet", rapporte un journal étudiant de l'UVic qui tente d'enquêter sur les paiements.
- The Heartland Institute's Denialgate documents indicate that the spinstitute gives Crockford $750 per month. She is one of three Canadian university professors on the denier dole at Heartland, along with Madhav Knandekar and Mitch Taylor.
- Les documents de Denialgate du Heartland Institute indiquent que le spinstitute donne à Crockford 750 $ par mois. Elle est l'une des trois professeures d'université canadiennes à toucher des allocations du Heartland, avec Madhav Knandekar et Mitch Taylor.
- Greenpeace contacted the University of Victoria to raise conflict of interest questions relating to Heartland's payments to Crockford, who has a history of denying climate science as a speaker for its anti-science International Climate Science Coalition. See Greenpeace's letter to the University of Victoria.
- Greenpeace a contacté l'Université de Victoria pour soulever des questions sur les conflits d'intérêts concernant les paiements de Heartland à Crockford, qui a nié la science du climat en tant que conférencière pour son anti-scientifique Coalition internationale des sciences du climat. Voir la lettre de Greenpeace à l'Université de Victoria.
- But apparently the University isn't interested in investigating the matter, stating that, because Crockford is “not a member of regular faculty,” it won't probe allegations of conflict of interest.
- Mais apparemment, l'Université n'est pas intéressée à enquêter sur la question, déclarant que, parce que Crockford n'est « pas membre de la faculté habituelle », il ne sera pas enquêté sur les allégations de conflit d'intérêts. (i.e. circulez ya rien à voir)
Ainsi notre damoiselle touche (ou touchait, l'article de Desmogblog datant de 2012) 750 dollars par mois du Heartland Institute, mais cela ne semble pas perturber outre mesure ceux qui se réfèrent à son expertise en se basant sur des papiers ou des livres qu'elle aurait écrits mais dont pas un seul ne serait validé par la communauté scientifique.
Mais le coup de grâce semble lui avoir été donné très récemment par une étude parue le 29 novembre, revue et validée par les pairs, elle, s'intitulant Internet Blogs, Polar Bears, and Climate-Change Denial by Proxy (Blogs Internet, ours polaires et déni de changement climatique par procuration) et dont voici le résumé :
- L'augmentation de la température de surface, la perte de glace de mer dans l'Arctique et d'autres signes de réchauffement climatique anthropique (RCA) sont reconnus par toutes les grandes organisations scientifiques du monde. Cependant, il existe un large fossé entre ce large consensus scientifique et l'opinion publique. Les blogs sur Internet ont fortement contribué à cette lacune consécutive en fomentant des malentendus sur les causes et les conséquences du RCA. Les ours polaires (Ursus maritimus) sont devenus une "espèce emblématique" pour le RCA, faisant d'eux une cible de ceux qui nient les preuves du RCA. Ici, en mettant l'accent sur la glace de mer arctique et les ours polaires, nous montrons que les blogs qui nient ou minimisent le RCA ne tiennent pas compte des preuves scientifiques accablantes de la perte de glace de mer et de la vulnérabilité des ours polaires. En niant les impacts du RCA sur les ours polaires, les blogueurs visent à jeter le doute sur d'autres conséquences écologiques établies du RCA, aggravant le fossé de consensus. Pour contrer la désinformation et réduire cet écart, les scientifiques devraient directement impliquer le public dans les médias et la blogosphère.
Analyse des composantes principales des scores de six énoncés, trois sur la glace de l'Arctique et trois sur les ours polaires, et les citations de Susan Crockford. Les scores ont été extraits de 90 blogs et de 92 articles scientifiques évalués par des pairs. Les blogs ont été codés en couleur selon leur groupe dans une analyse en grappes utilisant les distances de Manhattan et le regroupement de Ward. Les articles ont été classés comme controversés lorsqu'ils ont suscité des commentaires critiques et des discussions dans la littérature évaluée par des pairs. Les ellipses autour des points de données indiquent 95% de probabilité normale. Le premier axe de la PCA montre clairement l'écart consensuel, avec des positions complètement séparées pour la littérature scientifique et les blogs qui nient les problèmes avec la glace arctique ou les ours polaires. Par ailleurs, les blogs scientifiques prennent des positions qui chevauchent complètement la littérature évaluée par les pairs. Notez que même le petit nombre d'articles scientifiques plus « controversés » présentent encore des positions moins extrêmes sur le premier axe que celles exprimées dans la majorité des blogs de déni. Le deuxième axe PCA représente une variation beaucoup plus faible qui semble représenter le potentiel adaptatif présumé des ours. |
Ce schéma vous étonne-t-il ? Moi pas.
L'autre graphique est également éloquent :
Sans surprise, l'écrasante majorité des blogs scientifiques estiment que les ours polaires sont en danger, avec une très faible portion estimant qu'ils peuvent s'adapter ; par contre l'écrasante majorité des blogs climatosceptiques sont certains (i.e. ne doutent pas, normal, ils sont sceptiques...) que la banquise est soit en extension soit en diminution temporaire sans que l'on sache si la tendance ne va pas s'inverser (comprendre qu'elle va s'inverser...), et donc que nos amis les ours polaires n'ont aucun souci à se faire, soit ils ne sont pas du tout menacés soit ils s'adapteront sans aucun problème ; à noter qu'une infime partie des blogs climatosceptiques pensent que les ours polaires sont menacés, mais où vont-ils chercher tout ça...?
Un des co-auteurs de l'étude, Bart Verheggen, nous dit dans son blog :
- La plupart des blogs [climatosceptiques] ont basé leurs opinions sur une seule et même source : Susan Crockford.
Plus loin il nous explique :
- Les ours polaires dépendent de la banquise pour attraper leurs proies principales, les phoques. Ainsi, leur habitat fond littéralement lorsque les températures augmentent. Au fil du temps, les ours polaires sont devenus des symboles emblématiques des effets négatifs du réchauffement climatique. La population a été relativement stable jusqu'à présent, mais vous ne pouvez pas extrapoler cela à l'avenir. Les impacts biologiques sont souvent non linéaires et leur dépendance à la glace de mer signifie qu'à l'avenir, les ours polaires seront probablement confrontés à des difficultés liées à la poursuite du réchauffement. En effet, ils ont été classés comme «vulnérables» par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et comme «menacés» en vertu de la loi américaine sur les espèces en voie de disparition.
Le lien fourni par Verheggen nous amène à une étude, validée par les pairs le 9 avril 2012, dont le titre est Effects of climate warming on polar bears: a review of the evidence (Effets du réchauffement climatique sur les ours polaires : un examen des preuves) et dont voici le résumé :
- Le réchauffement climatique entraîne des changements unidirectionnels dans les schémas annuels de distribution, de structure et d'englacement des glaces de mer. Nous résumons des preuves qui documentent comment la perte de glace de mer, l'habitat principal des ours polaires (Ursus maritimus), affecte négativement leur survie à long terme. Afin de maintenir des sous-populations viables, les ours polaires dépendent de la glace de mer comme plateforme pour chasser les phoques suffisamment longtemps chaque année pour accumuler assez d'énergie (graisse) pour survivre aux périodes où les phoques ne sont pas disponibles. Moins de temps pour accéder aux proies, à cause de la rupture progressive au printemps, lorsque les jeunes phoques annelés récemment sevrés (Pusa hispida) sont disponibles, entraîne de longues périodes de jeûne, des conditions corporelles plus basses, un accès réduit aux aires de mise bas, moins d'oursons, qui sont de plus en plus petits, une survie moindre des oursons ainsi que d'ours d'autres classes d'âge, et, finalement, déclin de la sous-population vers une disparition éventuelle. La chronologie des changements impulsés par le climat variera selon les sous-populations, les effets négatifs quantifiables étant documentés d'abord dans les sous-populations plus au sud, comme celles de la baie d'Hudson ou du sud de la mer de Beaufort. Au fur et à mesure que la condition corporelle des ours se détériore, il y en a de plus en plus qui cherchent des ressources alimentaires alternatives, ce qui augmente la fréquence des conflits entre les ours et les humains. Dans les régions les plus septentrionales, la glace pluriannuelle épaisse, à travers laquelle pénètre peu de lumière pour stimuler la croissance biologique sur le dessous, sera remplacée par de la glace annuelle, ce qui favorisera une plus grande productivité et pourra créer un habitat plus favorable aux ours polaires sur les zones du plateau continental à court terme. Si le climat continue de se réchauffer et d'éliminer la glace de mer comme prévu, les ours polaires disparaîtront en grande partie des zones sud de leur aire de répartition au milieu du siècle. Ils peuvent persister dans les îles nordiques de l'Arctique canadien et dans le nord du Groenland dans un proche avenir prévisible, mais leur viabilité à long terme, avec une taille de la population globale très réduite dans un reliquat de leur ancien domaine, est incertaine.
Mais le plus intéressant est quand Bart Verheggen nous dit :
- Susan Crockford écrit beaucoup sur les ours polaires, mais le fait surtout sur son propre site Web et pour des thinktanks anti-atténuation tels que le Heartland Institute et la Global Warming Policy Foundation (GWPF) ; pas dans la littérature scientifique.
Je pense que c'est suffisamment clair, non ?