A l'occasion des gigantesques incendies qui ravagent actuellement l'Amazonie on entend et on lit un peu partout que cette vaste forêt serait le « poumon de la planète », même notre président s'y est mis
en twittant de manière erronée :
Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20% de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. #ActForTheAmazon
Si l'on doit à juste raison s'inquiéter de ce qui arrive à la forêt amazonienne, qui n'est pas réellement une nouveauté mais qui prend cette année des proportions jamais vues de mémoire d'homme, il ne faut cependant pas se faire de souci pour un supposé manque d'oxygène qui nous priverait de 20% de ce gaz assez utile pour survivre !
Michael Mann parle lui de 6% seulement :
The 20% figure IS too high. True number closer to 6% as per Jon Foley (@GlobalEcoGuy) and even this is misleading because oxygen levels wouldn't actually drop by 6% if we deforested the Amazon. See the longer thread on this w/@GlobalEcoGuy, @climatedynamics, me & others...
Le chiffre de 20 % est trop élevé. Le véritable chiffre est plus proche de 6% selon Jon Foley (@GlobalEcoGuy) et même ceci est trompeur car les niveaux d'oxygène ne baisseraient pas de 6% si nous déboisions l'Amazonie. Voir le fil plus long sur ce w/@GlobalEcoGuy, @climatedynamics, me & others....
Mais certains vont encore plus loin,
comme ces gentlemen (Jonathan Foley, Yadvinder Malhi et Peter Cox) :
Absolutely correct
@ymalhi
Forests in carbon balance produce no net oxygen. There’s some nonsense being spouted about the impact of the Amazon forest on oxygen, which hides it’s (sic) fundamental importance for biodiversity, and the cycling of carbon and water.
Les forêts dans le bilan carbone ne produisent pas d'oxygène net. L'impact de la forêt amazonienne sur l'oxygène, qui cache son importance fondamentale pour la biodiversité et le cycle du carbone et de l'eau, n'a pas de sens.
En fait il semble que Le Parisien, dans
« 20 % de notre oxygène » vient de l’Amazonie : pourquoi le chiffre de Macron est à nuancer, se débrouille plutôt bien pour expliquer les choses sur le plan de l'oxygène :
« La formule est belle, mais elle n'est pas scientifique », tranche Philippe Ciais, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement.
« Pour faire simple, le bilan de la forêt en elle-même est nul quand elle est à son état d'équilibre. L'impact de l'Amazonie sur la production d'oxygène est neutre […] Son taux [celui de l'oxygène] reste le même depuis plus de 20 millions d'années : 21% » explique Pierre Thomas. Et on nous précise que « ce sont en réalité les océans qui fournissent la majorité du dioxygène présent dans l'atmosphère ».
Pour résumer l'atmosphère terrestre est composée de
- 78% d'azote gazeux (N2)
- 21% d'oxygène gazeux (O2)
- le reste (1%) se répartissant entre argon, hélium, vapeur d'eau, dioxyde de carbone, méthane et ozone pour l'essentiel.
D'après mes différentes lectures j'ai l'impression que la moitié des 21% vient des continents, donc en partie des forêts, l'autre moitié provenant des océans, mais comme ce taux de 21% est stable cela signifie que les puits sont en équilibre avec les sources ; si j'ai bien compris, la disparition de la forêt amazonienne n'aurait donc pas d'impact significatif sur le taux de 21% d'oxygène contenu globalement dans l'atmosphère de la planète, par contre cela ne serait pas sans générer quelques menus problèmes...comme par exemple d'énormes émissions (au moment des incendies) de CO₂ participant ainsi un peu plus au réchauffement de la planète, mais aussi une immense perte de biodiversité tant animale que végétale, sans compter les effets sur le régime des pluies, entrainant plus que probablement davantage de périodes de sécheresse, alors que celle-ci est l'un des principaux facteurs ayant déclenché ces incendies monstrueux.
Mais la sècheresse a bon dos. Il y a toujours eu des périodes de sécheresse, et il y a toujours eu dans ces régions des incendies de forêts, qui étaient cependant en régression jusqu'à il y a peu, jusqu'à...
En Bolivie
The Conversation, dans
It’s not just Brazil’s Amazon rainforest that’s ablaze – Bolivian fires are threatening people and wildlife (
Il n'y a pas que la forêt amazonienne brésilienne qui s'enflamme - les incendies en Bolivie menacent les gens et la faune sauvage), nous informe que les incendies qui ravagent la Bolivie se produisent « comme par hasard » (ça c'est moi qui le rajoute) un mois après que le président Evo Morales ait annoncé qu'il favoriserait la production de viande pour l'export !
The disaster comes just a month after Morales announced a new “supreme decree” aimed at increasing beef production for export. Twenty-one civil society organisations are calling for the repeal of this decree, arguing that it has helped cause the fires and violates Bolivia’s environmental laws. Government officials say that fire setting is a normal activity at this time of year and isn’t linked to the decree.
Bien sûr le fameux décret annoncé par Morales n'aurait aucun lien avec les incendies...d'après le Gouvernement ! On peut les croire sur parole, n'est-ce pas ?
Mais quand on creuse un peu on s'aperçoit que Morales, qui au début semblait sensibilisé à la cause « de la nature et des humains », a en réalité approuvé, et donc encouragé, la déforestation à grande échelle ainsi que la construction de routes et d'exploitations de gaz dans des parcs naturels :
President Morales came to power in Bolivia in 2006, on a platform of socialism, Indigenous rights, and environmental protection. He passed the famous “Law of the Rights of Mother Earth” in 2010, which placed the intrinsic value of nature alongside that of humans. His environmental rhetoric has been strong but his policies have been contradictory. Morales has approved widespread deforestation, as well as roads and gas exploration in national parks.
L'étude mentionnée dans le dernier lien ci-dessus montre un graphique évocateur nous montrant les plus et les moins de la politique d'Evo Morales :
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Les plus (à gauche) et les moins (à droite) de la politique d'Evo Morales (source nature) |
Difficile de voir dans quel sens le bilan du président bolivien penche...
Au Brésil
Avec
Scientists fear that continued destruction of the Amazon could push it toward a tipping point, after which the region would convert from rainforest into savannah (
Les scientifiques craignent que la destruction continue de l'Amazonie ne la pousse vers un point de basculement, après quoi la région se transformerait de forêt tropicale en savane) nous apprenons dès le titre de l'article que nous ne sommes pas très loin de voir cette immense région convertie en savane africaine !
Et pourquoi faut-il s'en inquiéter ? Eh bien parce l'Amazonie est la plus grande forêt tropicale humide du monde et qu'elle recèle en son sein de nombreuses espèces
uniques animales et végétales, rien que ça ! Par ailleurs elle absorbe d'énormes quantités de dioxyde de carbone, étant ainsi un important puits de carbone permettant de lutter en partie contre le réchauffement climatique.
L'article nous informe également que ce qui a causé ces gigantesques incendies est un mélange de sécheresse et de management des terres consistant à défricher celles-ci afin non seulement d'exploiter le bois mais aussi (et sans doute surtout) de vendre les terres ainsi « dégagées » à des agriculteurs et éleveurs ; comme la saison sèche est bien avancée depuis plusieurs mois, les incendies peuvent se propager et devenir rapidement hors de contrôle.
D'après les écologistes c'est Bolsonaro qui aurait encouragé les paysans dans leurs comportements ayant entrainé cette réaction en chaine de feux incontrôlables façon « apprenti sorcier », puisque leur cher président leur a vanté le développement de l'Amazonie, ce qui les a incités à agir sans crainte d'être punis.
La déforestation aurait augmenté de 67% au cours des sept premiers mois de 2019, et aurait même triplé durant le seul mois de juillet ! Et ceux qui déboisent seraient (est-ce une surprise ?) les mêmes que ceux qui mettent le feu ; mais
Bolsonaro a accusé les écologistes d'avoir mis le feux :
Concernant les feux en Amazonie, j'ai l'impression qu'ils pourraient avoir été lancés par des ONG parce qu'elles demandent de l'argent. Quelles sont leurs intentions ? Créer des problèmes au Brésil.
Mais il est vrai que 73 000 incendies c'est tout à fait dans les cordes de Greenpeace ou du WWF, ben voyons ! Et puis est-ce que Bolsonaro n'est pas assez grand pour créer à lui tout seul des problèmes au Brésil sans l'aide de personne, hein ?
Mais en fait Bolsonaro est passé par quasiment toutes les
étapes du deuil, le premier choc passé (1ère étape) il a d'abord suggéré que les feux étaient un phénomène normal (i.e. il n'y a aucun problème = déni, 2ème étape) pour ensuite accuser avec colère les ONG (1ère partie de la 3ème étape) avant de se rétracter (2ème partie de la 3ème étape) ; devraient maintenant venir la tristesse (4ème étape), puis la résignation (5ème étape), l'acceptation (6ème étape) et enfin la reconstruction (7ème et dernière étape), ce qui devrait en principe lui prendre une ou deux décennies (pour éventuellement devenir triste d'avoir tout raté, mais ce n'est même pas sûr)
Bref tout cela nous pousse vers ce que les scientifiques appellent un « point de non-retour » (ou de basculement) qui entrainerait progressivement et irrémédiablement la forêt dans un processus de dépérissement l'amenant ni plus ni moins à l'état de savane.
Le climatologue brésilien
Carlos Nobre pense que 15 à 17% de l'Amazonie ont déjà été détruits et que le point de basculement ne serait pas de 40%, comme ce que les chercheurs pensaient précédemment, mais compris plutôt entre 20 et 25% ; dès que ce point de non-retour serait atteint le processus de dépérissement prendrait de 30 à 50 ans, temps durant lequel environ 200 milliards de tonnes de dioxyde de carbone seraient relâchés dans l'atmosphère, ce qui rendrait complètement illusoire l'objectif des +2°C fixé par la COP21 (on ne parle même plus de respecter les 1,5°C...)
L'Alaska
Si vous pensez qu'il n'y a que l'Amazonie qui brûle vous avez tout faux ; The Guardian nous avertit, dans
'There is no silver lining': why Alaska fires are a glimpse of our climate future (
"Il n'y a aucune lueur d'espoir" : pourquoi les incendies en Alaska sont un aperçu de notre avenir climatique) on nous explique que
For residents of Anchorage, July’s wildfire and unprecedented temperatures plus the current McKinley Fire confirm that global heating has changed life forever.
Pour les résidents d'Anchorage, l'incendie de juillet et les températures sans précédent ainsi que l'actuel incendie McKinley confirment que le réchauffement mondial a changé la vie à jamais.
Ainsi d'importants incendies prolongent la saison des feux de forêt de l'Etat qui se termine en principe début août.
Ces incendies se produisent, devinez quoi, après le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré, qui a vu la température d'Anchorage atteindre les 32°C pour la première fois (qu'existent des relevés de températures) ; de plus il a très peu plu cet été, ce qui a bien évidemment provoqué des conditions d'extrême sécheresse.
This summer’s wildfires are taking place amidst unusual conditions, to put it mildly. The July fire in Anchorage broke out at the start of what the US National Oceanic and Atmospheric Association described as “a period of warmth that re-wrote the record books” in Alaska.
Les feux de forêt de cet été se déroulent dans des conditions inhabituelles, c'est le moins qu'on puisse dire. L'incendie de juillet à Anchorage a éclaté au début de ce que la US National Oceanic and Atmospheric Association a décrit comme " une période de chaleur qui a réécrit les livres des records " en Alaska.
Il y a de multiples facteurs expliquant la situation actuelle ; d'après le scientifique
Brian Brettschneider « Le risque a toujours existé, mais il est considérablement amplifié. C'est le résultat de multiples facteurs. La saison des feux en Alaska est habituellement plus précoce que celle des États-Unis contigus, qui a lieu à la fin du printemps et au début de l'été. L'humidité est la plus basse, en plus d'être la période la plus sèche et la plus venteuse de l'année. Ce qui aide habituellement à atténuer ces conditions, c'est la persistance de la couverture de neige. Mais en raison du réchauffement planétaire, la neige dans la région d'Anchorage fond plus tôt, ce qui prolonge la saison. Et à mesure que les températures augmentent, les conditions deviennent encore plus sèches. Tout indique qu'il y aura plus d'incendies, des saisons d'incendies plus longues et des incendies plus intenses. Il n'y a pas de lueur d'espoir. »
Si vous n'aviez pas déjà le moral dans les chaussettes maintenant il vous titille les mollets.
Et pendant ce temps, dans l'Amérique de Donald Trump
Pendant ce temps des pompiers s'amusent à alimenter leurs citernes...en essence ! Dans
US Set to Blow Other Countries Away With 'Staggering' Scale of New Oil and Gas Production (
Les États-Unis vont ébranler (ou ruiner...) d'autres pays avec une nouvelle production de pétrole et de gaz " stupéfiante ") nous sommes fixés sur les intentions louables de nos « amis Américains », les mêmes qui sont intervenus, avec un peu de retard, non pas pour nous délivrer du joug allemand mais pour s'assurer que nous ne serions pas envahis par les affreux communistes soviétiques, en nous fourguant au passage leur camelote appelée vulgairement société de consommation, la même qui produit tous les désastres auxquels nous assistons avec béatitude (pour certains) ou résignation (pour d'autres)
Ainsi nous apprenons que dans la prochaine décennie on s'attend à ce que les Etats-Unis soient les heureux propriétaires d'une part de gateau s'élevant à 61% de la production de gaz et de pétrole, mais nous sommes tout de suite rassurés parce que le charbon n'est même pas mentionné ! (cependant les Chinois, les Polonais et les Australiens devraient veiller à la question)
Voici à quoi ressemblera la tarte à la crème qu'il nous faudra digérer :
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La majorité du nouveau pétrole et du nouveau gaz du monde devrait provenir des États-Unis. |
Et un petit Etat comme la Pennsylvanie deviendrait par exemple le troisième producteur mondial devant...la Russie !
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La production de pétrole et de gaz nouveaux pour les États américains est supérieure à celle de la plupart des pays. |
Comment imaginer un seul instant que « nos amis Américains » vont laisser ce pactole dans leur sous-sol en se disant que l'exploiter serait « mauvais pour la planète » ?
Et même si Trump n'est pas réélu le « rêve Américain » se chargera de doucher les optimistes qui croient que nous pourrions décarboner notre atmosphère.
Alors même si l'Amazonie n'est pas le poumon de la planète, celle-ci va à mon avis avoir du mal à respirer, comme nous le montre
cartooningforpeace.
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Repris en chœur par tous les dirigeants de la planète. |
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On dirait une illustration du malade imaginaire, à moins que cela ne vienne de vol au-dessus d'un nid de coucous... |