L'année touche à sa fin, je profite de quelques instants de calme avant la tempête de cette nuit pour vous faire profiter d'un article de Phillips O'Brien daté du 14 janvier 2022, soit un mois et dix jours exactement avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie (en fait il s'agit de la deuxième phase d'une invasion commencée en 2014 avec l'annexion de la Crimée et les troubles fomentés dans le Donbass)
L'article s'intitule The New Appeasement, en voici quelques extraits traduits par mes soins.
[...] Tucker Carlson, de Fox News, et Katrina vanden Heuvel, de The Nation [...] Ces deux-là, qui viennent de l'extrême droite et de l'extrême gauche de la politique américaine, sont unis pour presser les États-Unis de jeter l'Ukraine aux loups - ou plus exactement à la Russie de Vladimir Poutine. Ils sont rejoints en cela par une foule de penseurs en relations internationales, qui aiment à se qualifier de "réalistes" et qui, à l'instar de Chamberlain, affirment qu'ils font simplement preuve d'une grande fermeté dans leur analyse de la structure du pouvoir dans la région.
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Pourtant, loin d'être les durs réalistes comme ils se décrivent, ces "apaiseurs" (appeasers) modernes font passer Neville Chamberlain pour un Churchillien.
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Toutefois, lorsqu'il s'agit de l'Ukraine et de la Russie d'aujourd'hui, ces nouveaux "apaiseurs" surestiment considérablement la force de la Russie, sous-estiment la capacité de l'OTAN à dissuader la Russie (même sans soutenir directement l'Ukraine militairement) et font preuve d'une volonté grotesque de sacrifier une démocratie en plein essor à une nation autoritaire qui souhaite la dominer. Qui plus est, leur approche est plus susceptible de conduire au déclenchement d'une guerre que de la prévenir.
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Si nous avons retenu une leçon au cours des deux dernières décennies, c'est que les opérations militaires sont coûteuses, généralement contre-productives et qu'elles risquent constamment de tourner au désastre pour les économies les plus riches et les plus avancées, sans parler des économies faibles. Il est certain que les déploiements militaires russes de ces vingt dernières années, de la Géorgie à la Syrie, ont révélé des lacunes importantes. Si la Russie était assez stupide pour attaquer l'Ukraine, cela mettrait à l'épreuve son armée comme jamais depuis la fin de la guerre froide. Elle entamerait une guerre à grande échelle, en utilisant une armée de conscrits, à un moment où la population russe montre une résistance significative à son propre gouvernement. Nous ne connaissons pas l'état de l'opinion publique russe, car le pays n'est pas libre, mais il est clair qu'il existe un réel malaise dans la société russe quant à la nature autocratique et oppressive du régime.
De plus, ils déclencheraient une guerre avec un ennemi qui, en raison du comportement menaçant précoce de la Russie, s'est montré encore plus déterminé à résister que les Tchèques en 1938. L'un des aspects les plus affligeants de certains arguments des partisans de l'apaisement est qu'ils discutent de l'Ukraine comme s'il s'agissait d'une société profondément divisée ou d'un pays qui peut être facilement écarté. Il y a plus de dix ans, un pourcentage très important de la population ukrainienne était favorable à des relations étroites avec la Russie. Toutefois, l'agression russe et la nature oppressive du régime russe ont contribué à créer une identité ukrainienne croissante, démocratique et pro-européenne.
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Un peu plus tard, le 8 mars exactement, Phillips O'Brien publia un article sur la logistique russe ; comme il est payant (voir All those big Russian weapons will go nowhere without fuel) il en propose des extraits dans Looking back on the war through some writings ; à mon tour d'en tirer quelques parties intéressantes :
L'hypothèse selon laquelle l'armement russe est si puissant et l'armée russe si nombreuse que ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle ne submerge l'Ukraine semble être largement répandue.
Cependant, d'un point de vue logistique, la machine de guerre russe semblait tout sauf écrasante. Pour des raisons de doctrine, d'équipement et d'expérience, la Russie était loin d'être une superpuissance logistique. Si l'on remonte à l'époque de l'Union soviétique en Afghanistan, la Russie a développé un système logistique descendant, inflexible et peu capable d'innover.
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Tout cela signifiait que la Russie devait mener une guerre rapide, sinon son système logistique serait mis à rude épreuve. Dès le début, les Russes ont agi comme s'ils pouvaient s'emparer de Kiev et d'autres grandes villes en quelques jours. Ils semblaient s'attendre à ce que la résistance soit relativement facilement balayée alors que tout leur nouvel équipement prestigieux se mettait en marche le 24 février.
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Le signe le plus marquant de l'échec de la stratégie (et de la doctrine logistique) russe initiale et du succès de la stratégie ukrainienne d'attaque de la logistique pourrait être la fameuse colonne de 40 miles de véhicules, dont de nombreux camions logistiques remplis de munitions, qui s'est étirée du Belarus vers Kiev.
Je vous laisse lire la totalité de l'article (il est en libre lecture) de Phillips O'Brien qui, il faut bien l'avouer, avait prédit parfaitement les déboires de l'armée russe.